Hall C versus Billi

Vue en hauteur du Hall C, l’aérogare low cost de l’aéroport de Bordeaux

Azimuts : En 2008 vous avez collaboré au projet d’aménagement de la façade du terminal low cost de l’aéroport de Bordeaux, pourriez-vous nous expliquer de quelle façon, en tant que designers graphiques, vous avez été amenés à travailler sur ce projet ?

François Chastanet & Perrine Saint Martin : Le contexte est assez simple, il s’agit de la jeune agence bordelaise, Hessamfar & Vérons, un studio à « double tête », dirigé par un couple, Marjan Hessamfar qui est iranienne et Joe Vérons. Nous avons fait nos études d’architecture ensemble, ce sont donc des personnes rencontrées dans le cadre habituel d’un réseau générationnel. Cette agence d’architecture avait gagné le Prix de la Première œuvre 2008.

Nous avions effectué une refonte de leur identité visuelle : fonctionnement papier de l’agence, site internet, monogramme. Pour ce dernier, nous avons développé une réflexion sur le motif du Koufi géométrique, une graphie architecturale particulière qui participe à la décoration des mosquées et qui est une interprétation géométrique de la gestuelle calligraphique. La question était : « comment passer de cette gestuelle calligraphique à un ornement architectural où la notion de construction est inhérente ? ». Plus simplement, comment passer de l’espace du geste à celui de la façade architecturale ? Nous avions travaillé avec ce studio sur cette question au travers de leur identité visuelle qui est principalement basée sur le signe, puis sur une déclinaison typographique classique, papier à en-tête, cartes etc. Le travail et le processus d’identité visuelle de l’agence se sont bien passés, c’est pourquoi ils nous ont invités sur un concours restreint, sur lequel eux-mêmes étaient invités.

Ils nous ont contactés pour apporter une valeur ajoutée dans la phase concours, afin de faire la différence dans un appel d’offre un peu spécial, puisqu’il s’adressait à de très grosses entreprises de BTP, avec une volumétrie imposée. Tout était déjà posé dans le cahier des charges.

Plusieurs grosses sociétés industrielles de BTP, spécialisées dans la construction de structures industrielles, étaient mises en concurrence et chacune était tenue de se présenter avec un architecte. Donc ce n’était pas un concours d’architecture classique où des architectes gagnent un concours et ensuite font un appel d’offre aux entreprises avec définition technique du projet. Là, nous sommes en présence d’importants processus industriels d’attribution des marchés, avec des logiques d’entreprise très prégnantes. Et où l’architecte intervient ensuite comme une sorte d’alibi décoratif, pour le dire un peu péjorativement. L’architecte a une marge de manœuvre très réduite, il y a du travail sur la définition du seuil, l’entrée du bâtiment, mais la volumétrie générale, comme nous l’avions dit, est verrouillée. Il s’agit donc d’un hangar, une surface simplement extrudée.

Ce sont des concours qui ne sont pas toujours intelligents puisqu’il sont attribués au moins-disant, à qui va faire cette volumétrie pour le moins d’argent possible, dans les délais, etc. Il s’agit vraiment de processus industriels lourds et il faut que l’intervention de l’architecte ne gonfle pas la facture. Ce contexte de projet n’est vraiment pas habituel, à l’inverse d’un rapport classique maître d’œuvre/maître d’ouvrage comme dans un concours d’architecte, où l’industriel vient dans un deuxième temps. C’est cela qui constitue la vraie différence. Je pense que les architectes nous ont contactés pour intervenir sur ce travail de façade car eux-mêmes se rendaient compte des limites de l’exercice. C’est à la fois un travail d’image et d’architectonique, c’est-à-dire qu’il s’agit également d’une réflexion sur la façon d’ajourer le bâtiment, question qui n’était pas encore définie. Les points pouvant varier étaient les moyens d’éclairage, les ouvertures dans le toit, ce type de choses. C’est donc assez justement que Hessamfar & Vérons ont choisi de travailler avec nous en adoptant une réflexion basée sur un travail essentiellement graphique de la façade.

Nous sommes intervenus une semaine sous forme d’une « charrette » et d’un débat d’idées autour du concours. Il s’agissait du troisième hall de l’aéroport de Bordeaux, qui avait déjà un hall A et un hall B construits par Paul Andreu, le spécialiste des aéroports en France (Roissy) et dans le monde, et enfin le nouveau hall low cost de Bordeaux. Assez vite, nous avons décidé de répondre littéralement en disant « c’est le bâtiment hall C », le nom administratif de ce bâtiment, et ainsi faire simplement un travail de dessin typographique à l’échelle de l’architecture sur ce simple intitulé, en qualifiant banalement ce volume de hall C. Au regard d’une enveloppe budgétaire qui correspond à un hangar en taule, nous avons apporté une valeur ajoutée en disant : « essayons d’être malins, de prendre cette commande littéralement, de la retourner pour voir ce que nous pouvons en faire ».

Nous avons proposé pour le concours, un système de façade construit de manière binaire, avec des éléments noirs et des éléments blancs, en réalité translucides, donc pouvant être considérés comme vides. Cela renvoie à la typographie, car comme souvent, le vide qui crée des « temps », est l’élément rythmique le plus important. Comme le dit Gerrit Noordzij, écrire ce n’est pas tracer des traits noirs mais c’est organiser un espace vide avec des traits noirs1. C’est donc vraiment une manière de prendre les choses au pied de la lettre, nous avons fait une sorte de « boîte » composée de deux matériaux, un bardage acier laqué noir et un autre en plastique translucide appelé Danpalon® laissant passer la lumière mais pas vraiment la vision. Nous avons procédé à ce jeu binaire, avec des lettres mélangeant capitales et minuscules sur une trame de 15° ; il s’agissait de lames verticales et d’autres légèrement inclinées, déclinant la lettre « c », le « h » de hall ou encore « hall C » et qui entouraient le bâtiment.

Les architectes ont accepté ce principe, le blanc entre les lettres permettant d’ajourer l’intérieur du hall. Il s’agissait de l’esquisse sur laquelle l’entreprise de BTP associée au studio Hessamfar & Vérons a gagné le concours. Ils étaient à la fois les moins chers, les plus radicaux et les plus audacieux en termes d’image, avec cette marge de manœuvre très étroite. L’intérêt de ce projet résidait dans le processus de conception du signe, qui était engagé au début du projet architectural et non comme un habillage final pensé une fois le volume établi. Le travail typographique monumental était intégré dans l’esquisse même du bâti et de la façade. Donc ce qui faisait la particularité de ce projet, c’était cette possibilité d’associer la réflexion du signe à celle du processus de conception architecturale ; nous étions ainsi cosignataires de la façade.

Flux de voyageurs sortant de l’aéroport

AZ : Pouvez-vous nous parler un peu plus en détail des contraintes diverses liées au projet ?

FC & PSM : Notre proposition n’occasionnait aucun surcoût, le Danpalon® était plus onéreux que le bardage classique, donc il y avait un certain pourcentage à ne pas dépasser sur la surface totale. Mais en termes de mise en œuvre, il n’y avait aucun surcoût. C’est ce dont nous avons parlé au début, ce travail autour du Koufi géométrique et de l’architecture de l’Islam, ce travail de traduction du geste écrit vers un langage architectural, et comment y parvenir sans perdre trop de choses. Ce système de façade clipsée avec des panneaux en taule est d’ordinaire assez grand. En étudiant les catalogues, nous avons vu que nous n’étions pas obligés de mettre en œuvre des bardages longs, nous pouvions utiliser un module plus petit avec des inclinaisons, et donc gagner une plus grande liberté d’assemblage des éléments.

Il s’agit donc d’un exercice classique de typographie modulaire qui trouve racine dans beaucoup de projets d’architecture depuis très longtemps ; il y a l’exemple de l’islam évoqué plus haut avec le Koufi pour les mosquées, mais encore beaucoup d’autres exemples, notamment l’art de la mosaïque. Dans ce projet, ce qui était intéressant c’était cette possibilité de travailler à une échelle monumentale. Les lettres étaient utilisées en capitales et en minuscules, leur hauteur d’x était basée sur la hauteur de la façade. Ce n’était pas une lettre sur la moitié ou sur un tiers de la façade, la lettre était la façade de haut en bas. Nous nous intéressions à ce côté monumental et une interprétation brutaliste et littérale du cahier des charges nous a semblé pertinente. Techniquement, c’est très simple : nous étions sur un bâtiment poteau-poutre habituel. Notre travail consistait à transformer ce bâtiment, cette boîte, en un signe. C’était presque aller à la limite de la logique de Learning from Las Vegas qui dit « le signe est l’architecture ». C’est-à-dire que nous ne voulions pas camoufler la boîte, nous voulions juste aller au bout des qualités plastiques brutales de la boîte.

C’est un simple ruban qui vient habiller la surface, comme l’ancien logo Air France sur lequel Excoffon avait travaillé à la représentation de la vitesse par un dégradé. Il s’agit de ces outils très classiques présents dans beaucoup de projets d’identité visuelle qui tournent autour des questions de vitesse et de mouvement. Techniquement, en termes de dessin typographique, ce n’est presque rien ; il n’y a pas la technicité propre au dessin de caractères. Nous avons même pu dessiner directement les lettres dans Autocad, suivant un principe à segment droit. Nous avons conçu une typographie monumentale avec les outils de l’architecte. Bien sûr, il y avait un travail de recherche, notamment définir la graisse des lettres dont nous avons dessiné toutes les variantes possibles (neuf au total) ; puis nous avons choisi celle qui nous semblait visuellement la moins lourde.

Notre collaboration s’en est tenue là. Nous n’avons pas participé à la définition technique du bâti et à la phase de prototypage qui a suivi. Par la suite, les choses se sont gâtées, dénaturant légèrement le projet.

AZ : De quelle façon ? Était-ce dû au processus lourd évoqué plus haut, à son influence dans le dialogue avec les divers interlocuteurs impliqués ?

FC & PSM : Nous n’étions pas en contact avec l’entreprise de BTP, mais uniquement avec les architectes. Comme dans la grande majorité des cas, il y avait un premier marché pour l’architecture et un second marché pour la signalétique, nous avons donc travaillé notre projet autour d’une réflexion mêlant ces deux problématiques. Par l’identité même de la façade et son dessin, nous répondions en partie au problème de la signalétique. Nous avions notamment travaillé sur des dessins de cheminement au sol qui reprenaient le jeu graphique de la façade. Le problème c’est qu’il a fallu rentrer dans ces cases administratives. Or il y avait deux appels d’offres distincts et il n’a pas été possible de travailler globalement l’architecture et la signalétique.

Comme nous l’avons compris par la suite, le marché de la signalétique était réservé à une agence de communication. Il y a donc eu un conflit avec notre proposition, qui apportait trop de réponses par rapport au problème posé, et qui en quelque sorte, mettait en cause le système hiérarchique habituel dans ce type de marché.

Voilà comment se sont greffés des gens que nous n’avions jamais rencontrés, et que nous n’aurions pas voulu rencontrer de toute façon. Ils ont plaqué une identité visuelle « classique », extrêmement médiocre, avec un discours marketing publicitaire « au ras des pâquerettes », sans aucune réflexion sur le contexte. Des vagues « créatifs » ont cherché à nommer ce nouvel aérogare. Ça a dégénéré de façon effrayante… Le terminal a été rebaptisé « Billi » pour « Bordeaux illico », le tout composé dans un caractère typographique extrêmement moche, fait sur Illustrator en un quart d’heure, avec des terminaisons rondes. Un truc « sympa » dans le jargon marketing. Les architectes ont eu à combattre cela, par exemple le placement intempestif de panneaux sur le bâtiment. Ils ont réussi à contenir toute cette menace de panneaux supplémentaires qui se seraient ajoutés à la façade et au pont de béton reliant les zones de départ de l’aéroport aux parkings. Les architectes ont donc refusé de céder trop de surface à ce projet de signalétique, mais il n’y avait aucun moyen de passer outre ce marché de signalétique, réservé à « l’espace marketing ».

Donc, pour répondre à votre question concernant le dialogue avec les divers acteurs, nous avons échangé uniquement avec les architectes sur la phase projet. Cette vision de la signalétique, qui était « dans les tuyaux » du processus habituel normatif de séparation des lots et des compétences, s’est opposée à notre façade qui réglait, en bonne partie, ces questions de signalétique. Finalement, nous avons dû faire évoluer le dessin de la façade, c’est-à-dire faire disparaître les mots « Hall C », qualificatif « naturel » du bâtiment, au profit de « Billi » et de tout le discours supposé justifier ce nouveau nom. Ainsi, nous avons du redessiner notre système typographique, qui avait donné naissance à cette façade, au profit de simples bandes, un jeu ornemental vide de sens. Nous avions dessiné des lettres à forte dominante verticale, et toutes les parties horizontales du tracé ont été expurgées. Nous nous sommes retrouvés avec un jeu abstrait, géométrique, de bandes soit verticales soit à 15°. Nous ne renions pas le dessin de cette façade que nous ne trouvons pas inintéressante plastiquement mais qui, malgré tout, s’est trouvée privée de l’intention que nous avions de régler l’ensemble des questions architecturale et signalétique par l’architecture, ou du moins, par un dessin de façade intelligent.

Il y a donc eu ce point de clash à partir duquel nous avons dû faire marche arrière. Aujourd’hui, notre façade est uniquement ornementale, elle a perdu sa fonction initiale. Mais dès le début du projet, nous étions conscients du risque que nous prenions en nous disant « ça passe ou ça casse ». Il y a eu un moment où nous avons cru pouvoir aller jusqu’au bout, car nous avions gagné le concours grâce à cette plus-value d’image et de sens. À tort, nous pensions que les architectes en relation avec le commanditaire arriveraient à soutenir l’idée jusqu’au bout. Mais comme dans la majorité des projets, nous savions bien que nous serions rattrapés par le principe de réalité, par des pressions, des manières administratives et corporatistes de fonctionner. Les architectes ont contenu la présence de l’identité visuelle, qui est simplement plaquée, à dominante rose, s’opposant complètement au parti pris noir et blanc que nous avions défini initialement. Il y a donc deux univers qui s’opposent frontalement, bien que grâce aux architectes qui ont modéré la chose, le tout reste acceptable. Il est du reste possible de ne rien percevoir de tout ceci. Le bâtiment a une présence qui surpasse largement les petits autocollants roses, qui sont par ailleurs plus présents à l’intérieur du bâtiment. Notre projet de signalétique a été refusé pour une question de structuration de marchés.

Ainsi, notre intervention dans l’espace intérieur s’est faite par le biais du travail de façade qui amène de la lumière dans le terminal. À notre sens, ce qui est intéressant, c’est que ces signes ne sont pas peints, ne sont pas sérigraphiés, ne sont pas collés, ce n’est pas un film plastique. C’est un signe qui fait corps avec la façade, mais c’est un signe dénaturé, qui a perdu sa fonction. Mais cela aurait pu être pire, puisque nous avons assez peu accompagné les choses et bien que nous soyons intervenus uniquement sur la phase concours, notre projet a subsisté alors qu’il aurait pu complètement disparaître.

AZ : Mais les architectes devaient bien savoir qu’une séparation administrative existait entre les appels d’offre de signalétique et d’architecture, non ?

FC & PSM : Si, bien sûr, mais au départ nous avons malgré tout essayé de nous présenter sur les deux marchés. Nous avons discuté avec Hessamfar & Vérons pour anticiper ces problèmes, mais nous nous doutions qu’il allait y avoir un marché signalétique. En tant que freelance, donc micro-structure, nous savions que nous ne remporterions pas ce marché, qu’il reviendrait à des personnes n’ayant quasiment aucune culture en matière d’identité visuelle, mais bénéficiant du cadre administratif que procure une agence de communication, un fort appareil juridique, notamment. En tant que designers graphiques, nous savions pertinemment que nous ne gagnerions pas le marché signalétique. C’est pourquoi, avec les architectes, nous avons choisi d’étendre nos réponses au-delà des questions posées, afin de mettre à distance la médiocrité visuelle à laquelle nous ont habitués les agences de communication en France, et aujourd’hui un peu partout en Europe. Le travail a été confié à des gens qui font des affiches publicitaires pour les banlieues françaises, les carrefours et les entrées des villes. En même temps, cela correspond à la « bouillie visuelle » à laquelle les usagers ont été habitués. Par anticipation, nous avons préféré proposer un projet original avec l’appui des architectes, ce qui leur a permis de gagner symboliquement.

Dessins vectoriels des variantes de graisse extraites de la planche de recherche

AZ : François Chastanet, en tant que designer graphique, votre formation d’architecte vous a-t-elle aidé sur ce projet ?

FC : Être architecte est utile pour rassurer les interlocuteurs sur un tel concours. Néanmoins, je ne pense pas que cela ait tellement influencé le projet. Peut-être que mon parcours m’apporte une certaine sensibilité, une capacité de visualiser dans l’espace. Mais sur le dessin du projet, ce qui m’a le plus aidé, c’est ma connaissance du signe dans son rapport à l’architecture. Le tour de force ne porte pas sur le dessin mais sur la décision. En soi n’importe quel graphiste aurait pu faire ce travail. Pour un graphiste, le fait d’être également architecte met en confiance les collaborateurs, car ils savent que vous allez pouvoir penser et parler dans leur langage. Le plus souvent les designers graphiques ont l’habitude de travailler dans l’espace bi-dimensionnel de la feuille. Il est moins courant de voir un graphiste réfléchir et planifier les choses à des échelles monumentales. Donc j’ai peut-être une vague aisance à propos de ces problématiques.

Mais le vrai enjeu est plutôt culturel et sociologique : du point de vue de personnes cultivées comme les architectes, et dans la plupart des milieux, le designer graphique est vu comme un exécutant. Et c’est bien de pouvoir dire « j’ai la même expertise en matière de décision », « j’ai fait les mêmes études que vous », « je connais les logiques de l’espace ». C’est donc surtout le moyen de travailler sur un pied d’égalité et d’être considéré. Sinon, dans la plupart des cas, c’est le marketing qui impose son dogme et qui définit les règles de « ce qui marche et ce qui ne marche pas ». Le marketing est une fausse science infecte qu’il faut combattre absolument si l’on veut tirer les choses vers le haut. Je conseille de bien écouter les personnes du marketing et de faire le contraire ! Le fait d’avoir fait des études d’architecte, d’être « DPLG », me permet d’abord de poser une parole et surtout d’être écouté. Effectivement, en cela, être architecte m’a aidé à ne pas être le grouillot en fin de chaîne qui exécute les dessins du pseudo créatif, trop souvent sorti d’un BTS marketing.

AZ : Rétrospectivement, quel regard posez-vous sur cette expérience de l’économie low cost ?

FC & PSM : Quand nous avons commencé ce projet nous savions qu’il s’agissait d’une boîte que l’on trouve dans toutes les entrées de villes, dans toutes les banlieues de France. Et nous avons travaillé sur les potentialités monumentale et plastique de cette boîte. Au lieu d’arriver sur un projet avec des décisions a priori, et d’imposer un signature ou une manière de faire, nous préférons quand un projet et ses contraintes génèrent leur propre esthétique. Évidemment, cela génère un espace assez froid, voire lourd, visuellement radical, mais qui renvoie à l’objet lui-même. En l’occurrence nous n’avons pas voulu essayer de camoufler la boîte.

Nous avons été très étonnés… Nous étions surpris d’avoir gagné. Était-ce parce que nous étions les moins disant ? Les qualités de la façade ont-elles été perçues ? Est-ce l’effet minimum qui a prévalu ? Nous ignorons les discussions qui ont motivé la décision du jury.

Mais nous pensons que nous avons répondu à la commande formulée par Hessamfar & Vérons : obtenir un effet maximum sans changement de volume, nous avons rempli notre rôle. Nous étions là pour gagner un concours, et malgré les aléas, le projet a vu le jour alors que beaucoup de projets de ce type restent souvent sur le papier et ne gagnent jamais. Il y a même des personnes qui ne sont que des architectes de papier, qui ne conçoivent que des projets radicaux jamais réalisés. Des personnes comme Sant’Elia, un futuriste italien qui a eu plus d’influence sur l’architecture que nombre d’architectes qui ont effectivement construit, lui qui n’a produit que des planches, des croquis et des perspectives. Notre projet aurait pu en rester au stade du papier, comme un énième projet radical resté lettre morte.


  1. « Écrire, ce n’est pas simplement une série de traits, mais de l’espace, divisé en formes caractéristiques par ces traits. » Gerrit Noordzij, The Stroke : Theory of Writing, Princeton Architectural Press, 2006. Stroke designe le trait, le coup, le geste, le ductus

Sommaire nº 37-38
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