Pimp my car ? A working class work of art ?

Meeting GTI du Cap d’Agde, 22 septembre 2009

Les journalistes de la presse généraliste décrivent volontiers un monde du tuning peuplé de jeunes hommes dangereux voire racistes, sexistes et sexuellement frustrés (bimbeloterie et imagerie de femmes sexy) qui « bouffent leur pognon » de manière quasi-pathologique. Ces descriptions médiatiques aussi fausses que dégradantes du tuning révèlent surtout la prégnance d’une forme de racisme de classe chez certains journalistes. Par opposition, l’universitaire peut alors être tenté d’opposer une explication enchantée voire romantique du tuning comme contre-culture ou pratique de résistance populaire1. Comprendre le tuning s’avère un peu plus compliqué…

Le tuning est l’art de personnaliser son véhicule (vélo, mobylette, moto, auto, camion…). Depuis la Ford T, cette pratique culturelle rassemble tous ceux qui opposent à la production en série une forme d’arrangement individualiste en se réappropriant l’objet commun devenu unique2. Cette pratique est pourtant paradoxale à plusieurs titres : la fois sportive et culturelle, collective et individuelle, utilitaire et esthétique, passionnée et stigmatisée, elle peut s’avérer coûteuse pour des créatifs aux revenus modestes… Les tuneurs revendiquent encore volontiers leur virilité mais demeurent patients et exigeants avec eux-mêmes. Une création culturelle populaire relativement autonome, proche d’autres modalités populaires du Do-it-yourself dont les jardins ouvriers ou le mouvement punk.

S’il est vrai que dans le tuning « y a même des rentiers qui sont pétés de tunes » (Benjamin, carrossier près de Castres), les tuneurs sont presque toujours des hommes de moins de 25 ans dont le niveau d’études n’atteint qu’exceptionnellement le bac professionnel, ils n’excellent pas nécessairement en mécanique automobile. On ne compte qu’une minorité de « virtuoses », sur laquelle cette étude se concentre. Cette enquête repose sur sept années d’observation occasionnelle de teams et de rassemblements de tuning dans le midi toulousain, sur plus d’une cinquantaine d’entretiens. Tous les enquêtés ou presque appartiennent à cette jeunesse rurale faiblement qualifiée confrontée à l’échec scolaire, à la désindustrialisation de leur bourg, à la difficile entrée sur le marché du travail et sur le marché matrimonial. Ces jeunes hommes font face aux transformations socio-économiques lourdes du monde ouvrier rural français en tentant d’apporter leurs réponses par le tuning. Certains tuneurs se distinguent néanmoins des plus démunis par les ressources, savoirs et savoir-faire précisément objectivés dans et par leurs véhicules tunés, objets d’une fierté individuelle et collective.

Des beautés inutiles

Les critères du beau

Le tuning se définit officiellement comme une modification non nécessaire du véhicule et sa dimension esthétique est visible à plusieurs niveaux. D’abord, les tuneurs interrogés sur les raisons qui les poussent à consacrer avec tant d’entêtement, tant de temps, d’argent, d’énergie et d’ingéniosité à modifier leur véhicule répondent toujours en substance et en toute simplicité : « parce que c’est beau ! », tout en s’interrogeant, parfois verbalement, sur le peu de discernement de l’interviewer et l’absurdité de sa question. D’autant que le « meeting » (rassemblement hebdomadaire du printemps-été) est précisément un concours de beauté où des prix hiérarchisent des véhicules sélectionnés selon des critères esthétiques. Par ailleurs, l’admiration (et son pendant symétrique, la jalousie) des autres tuneurs rendue perceptible par l’intérêt appuyé pour les plus beaux véhicules tunés sur lesquels plus de visiteurs s’attardent et plus intensément par des regards précis mais lourds de sens, en ouvrant les portes, en caressant le véhicule (plus que par des louanges aux propriétaires) confirme d’évidence cette dimension esthétique du tuning. On sait les spécificités et difficultés de l’enquête en milieu populaire3, a fortiori dans le monde rural4, auxquelles s’ajoute ici le caractère progressif et manuel5 de la transformation du véhicule, qui, à ce titre, n’a pas à être justifiée verbalement et de fait ne l’est pratiquement jamais avant l’arrivée et le questionnement incongrus de l’universitaire. La presse tuning permet de mieux préciser ces critères du jugement : originalité, cohérence, propreté, importance du travail réalisé en amont (le « faire pour faire »).

La définition du bon goût, de la beauté et de l’innovation esthétique varie mais semble partagée parce qu’elle est arbitrée par les spécialistes les plus reconnus dès le printemps. Rudy Pastore, le reporter-photographe du magazine spécialisé GTI Mag. que j’accompagne sur un meeting, sélectionne, parmi plus d’une centaine d’autres véhicules tunés, une Peugeot 306 selon des critères esthétiques pour que « d’une certaine façon le résultat final soit plus esthétique que sortie d’usine » : « elle est propre » au sens propre (un véhicule exposé ne doit pas présenter la moindre souillure, il est d’ailleurs régulièrement « briqué » par son propriétaire pendant le meeting) et au sens où le travail est à la fois achevé et complet, les modifications sont à la fois cohérentes et originales mais « dans le ton » (le style de tuning – dub, german, racing… – doit être respecté), « il y a de l’idée » soit des innovations formelles avec ici une peinture anthracite mate qu’accompagnent sobrement des liserés rouges. « Personnellement, poursuit Rudy Pastore, j’attache une grande importance aux nouvelles idées de tuneurs qui puissent intéresser ensuite directement les constructeurs »6. Comme pour d’autres « œuvriers », ces « ouvriers qui font du beau », le trophée, la photo et l’article de presse consacrent tout particulièrement le véhicule tuné produit du « faire pour faire » des « plus doués » : « c’est beau parce que c’est bien fait »7.

Le tuning ne contredit donc pas nécessairement l’affirmation de Pierre Bourdieu, selon laquelle « tout se passe comme si ‹ l’esthétique populaire › (les guillemets étant là pour signifier qu’il s’agit d’une esthétique en soi et non pour soi) était fondée sur l’affirmation de la continuité de l’art et de la vie, qui implique la subordination de la forme à la fonction »8. Car le jugement esthétique, le « beau », prend des significations différentes selon les classes sociales. En milieu populaire la beauté est souvent le produit de l’effort physique. La course du cycliste (non dopé) est belle parce qu’elle révèle la force, l’endurance, la dureté, la ténacité… Dans le même ordre d’idée, le véhicule personnalisé est beau parce qu’il objective un amour du travail bien fait.

Détail, Meeting GTI de Marseille, 1er septembre 2009

Un travail plus qu’inutile

Ensuite, aucune rationalité économique classique ne peut expliquer le tuning : « je ne sais pas combien ça a coûté, vaut mieux pas savoir », résume Fabien, employé dans un magasin de sono. Les tuneurs comprennent fort bien, mais avec leurs mots, cet étrange paradoxe par lequel le véhicule tuné constitue un capital que son propriétaire dévalorise à grands frais par son travail : l’argent investi pour acquérir les seuls accessoires qui seront adaptés et le temps consacré à la transformation du véhicule, le rendent ensuite difficilement vendable, non seulement du fait des conditions posées par le contrôle technique mais surtout parce que le véhicule devient trop particulier, trop unique, trop cher.

Bien que coûteuses, les modifications sont de toute façon régulièrement gratuites ou inutiles, comme lorsque le propriétaire du véhicule consacre des dizaines d’heures à remplacer et à fignoler un élément du moteur non seulement invisible mais en pratique presque inaccessible sauf à se tordre en contorsions sous le moteur pour découvrir une pièce chromée en bénéficiant de l’explication détaillée de la difficulté du travail ainsi réalisé par le propriétaire. Les modifications s’avèrent d’ailleurs ordinairement contreproductives par rapport aux performances ou aux fonctions normales du véhicule (quand elles ne sont pas illégales donc passibles d’amendes): la sono remplit fréquemment tout le coffre voire la banquette arrière ; le véhicule est rabaissé (« c’est pas facile dans les chemins et on habite en montagne » admet le président d’un team dans les montagnes pyrénéennes), ou le remplacement au profit de jantes larges oblige à réduire parfois drastiquement la vitesse du véhicule (« ça tremble de partout »), dont le moteur peut pourtant être gonflé ; les équipements accumulés alourdissent et « ça se paye à la pompe » ; les concours SPL qui cherchent à maximiser la pression à l’intérieur du véhicule mobilisent un matériel audio coûteux et des réglages extrêmement fins mais qui rendent impossible l’écoute de la musique, etc. Comme pratiquement tous les tuneurs rencontrés, Serge, menuisier, n’a qu’une voiture, mais pour lui, l’enjeu esthétique s’impose en dépit des contraintes professionnelles auxquelles il doit faire face : « Pour moi c’est pas pratique dans le boulot pour trimbaler les outils, la peinture, je suis obligé de mettre une couverture sur la banquette arrière (pour ne pas salir) ».

L’inspiration, la vocation et le don

Dans les discours, les idées « viennent comme ça en faisant », « ça m’est venu comme ça ». La muse des tuneurs semble s’exprimer directement par leurs mains, ce qui pose d’emblée de sérieuses difficultés sociologiques de définition et de compréhension de la portée de la « créativité ». L’inspiration ne s’explique pas, pas plus que l’origine de ces bricolages esthétiques. Chez les virtuoses, le tuning prolonge un intérêt déjà ancien pour le dessin ou la mécanique, parfois devenue activité professionnelle : « C’est un vieux truc, j’ai toujours transformé mes vélos, je les repeignais, fallait que je me différencie c’est comme ça pareil avec les motos, après j’ai tripoté la voiture » explique Nicolas. Chez eux, après les vélos décorés et customisés dès l’enfance, les scooters (auparavant les « mobs », les « meules »…) sont trafiqués à l’adolescence avant les motos et enfin la voiture parfois dès avant l’obtention du permis entre le moment où le jeune prodige se voit offrir (ou se paie en apprenti) sa première voiture et le moment où il passera le sésame du permis de conduire qui revêt une importance toute particulière pour cette jeunesse populaire rurale qui le vit, plus intensément qu’ailleurs, comme le moyen et le symbole de l’autonomisation tant vis-à-vis du village que des parents. Sans surprise, pour les plus doués, dont David, carrossier à Montauban, la « vocation »9 remonte rétrospectivement et presque systématiquement à l’enfance : « Tout petit j’ai commencé sur les vélos ; je peux même pas dire quand ça a commencé » ; ces virtuoses peuvent revenir sur leurs dons ainsi naturalisés mais toujours avec une gêne non feinte, ce qu’illustre un maçon dont les compétences tant en carrosserie qu’en « mécanique auto » relèvent pour ses proches de l’inexplicable. Les virtuoses se montrent surtout étonnamment modestes10: « j’ai appris tout seul… mais j’ai demandé des conseils » ; il faut interroger l’entourage immédiat pour recueillir les discours de mise en légende : « c’est du génie » ; « y a rien à comprendre » ; « il a tout refait de A à Z [dont la carrosserie et] en tôle à l’ancienne » ; « nous on fait parce qu’on aime, pour lui c’est une passion, c’est tout le temps », etc.

Une création unique

Une satisfaction essentielle recherchée reste l’expression de sa singularité : chaque tuneur veut avoir une voiture « unique » sur un ou plusieurs points ; plus qu’être admiré il veut susciter le respect des siens et de ses semblables. Il s’agit de provoquer une « certaine jalousie », de montrer ce dont on est capable, mais sans méchanceté. La jalousie ne touche que les semblables. Ce qui nous rassemble par et pour ceux qui NOUS ressemblent. Les « vrais » tuneurs n’ont ainsi que mépris pour EUX, au-dessus, les « bourgeois » de la ville, mais aussi pour EUX qui, en dessous, tentent de les imiter en achetant trop de kits, en faisant trop travailler des garagistes spécialisés, en payant trop cher : « Tu vois ma caisse elle est unique, il n’y en qu’une comme ça dans le monde » ; autrement dit par Michael : « même si je gagne pas de prix, j’ai quand même cette fierté en moi que j’ai l’ai fait moi-même ». Ceux qui, tel Giotto pour la peinture11, s’autorisent finalement à signer leur véhicule demeurent rares, mais ils manifestent ainsi un sentiment général, celui de la nécessaire personnalisation du véhicule qui doit être réapproprié : « c’est le truc de dire : c’est moi qui l’ai fait ». Le tuning semble bien relever de l’art de faire et de la ruse du consommateur12. Le véhicule comme création esthétique unique repose certes sur un individualisme revendiqué mais il est toutefois lui-même généralement voulu et rendu possible par le team, ce groupe d’interconnaissance privilégié, bien que parfois informel, qui assure en milieu populaire, comme ailleurs, à chacun de ses membres une certaine forme de propriété de soi et jusqu’à l’ambition créatrice : « je l’ai fait à mon goût dans l’esprit du club ».

La presse spécialisée (dont les sites Internet) est à la fois le produit et le vecteur de ce groupe culturel, elle constitue une source essentielle d’inspiration et de comparaison. Le lecteur y trouve des conseils, des idées mais tous ne cessent de rappeler qu’on ne saurait copier. Il en va de même pour les échanges réglés entre tuneurs. Dans le monde du tuning, l’imitation ou le plagiat constitue sans doute la pire des infractions au code de l’honneur. L’essentiel n’est jamais d’avoir la plus belle voiture, et moins encore la plus chère, mais de l’avoir individualisée et dans la mesure du possible de l’avoir refaite soi-même : « moi perso je préfère le faire […] au moins je peux dire que je l’ai fait. [à propos de ceux qui font appel à des professionnels] moi je vois pas le but, moi je me suis toujours tout fait, même l’alarme, sauf la peinture [un local adapté s’impose] » ; « On s’entraide tous les week-ends mais on les fait à la maison ». Expression de soi dans un cadre collectif, il existe des styles (Rat’s par exemple, cf. infra) mais « on fait chacun sa touche perso quand même, on cherche pas à copier les autres quoi ».

Singularité, génie, vocation, désintéressement… les registres de discours sont donc proches de ceux célébrant l’artiste comme « créateur incréé »13 et pourtant aucun tuneur ne se revendique « artiste ». Qui sont ces tuneurs qui se retrouvent au printemps pour une série de « compétitions » sans prétention, mais prétextes à des rassemblements organisés par les principaux teams ?

Détail, Meeting GTI de Picardie, 10 mai 2007

Un entre soi égalitaire et viril

Les tuneurs vivent le plus souvent dans un environnement industriel rural ou semi-rural, dans des bourgs péri-urbains dans la ceinture des 20 à 30 km autour de villes moyennes (par exemple dans le sud-ouest : Tarbes, Carmaux, Lavaur, Gaillac ou Albi). Tous les tuneurs ont des amis pratiquant le tuning : « c’est une grande famille » résume l’un deux. Les tuneurs se retrouvent généralement dans des teams autour de 3 à 10 voitures de référence, parfois plus. Beaucoup se fréquentent depuis l’enfance.

Appartenir au team et fréquenter les rassemblements offrent classiquement toutes sortes de rétributions. Il y a d’abord la sociabilité : « c’est comme une famille » ; « c’est pas tout pour le tuning, on se voit tout le temps pour plein d’autres trucs, on fait tout ensemble, on se marre, on s’arrête chez les uns, les autres on prend le café, on fait des fêtes, on est très très complices… » (Jessica) ; le team agit encore comme un équivalent fonctionnel d’agence matrimoniale ou fidélise une clientèle au profit du principal leader, généralement un mécanicien propriétaire d’un garage, où une clientèle captive achète les pièces indispensables.

Il n’en demeure pas moins que le tuning repose sur le respect d’un principe d’égalité, ce dont témoigne encore le refus d’une distinction entre spécialistes et spectateurs, entre professionnels et amateurs, entre réguliers et occasionnels, entre la scène et la salle. Car on ne visite pas les voitures exposées dans un rassemblement comme on visite un musée : la plupart des tuneurs s’y rendent en groupe pour y discuter avec les autres propriétaires de véhicules modifiés, entre initiés, ou entre amateurs et initiés. Les profanes sont par ailleurs nombreux lors des meetings d’été à venir admirer les véhicules ; mais ceux qui s’investissent dans le tuning sont alternativement ou parallèlement compétiteurs, fiers de montrer leur véhicule tuné, ils sont inévitablement juges et parties. Si les plus anciens regrettent que les meetings deviennent « trop compétitifs », que « les mentalités changent » et que parfois « ça devient méchant », les rappels à l’ordre par les discours égalitaristes sont néanmoins constants, l’ambiance se veut « familiale » et comme le résume l’un d’entre eux : « On n’est pas des bourrins à vouloir être supérieurs aux autres ». Les véhicules exposés dans les rassemblements demeurent d’ailleurs ouverts en grand y compris en l’absence de leurs propriétaires, tandis que leurs objets personnels (dont un portefeuille bien en évidence) y sont facilement accessibles. Le voleur tenté pressent sans doute qu’une rapine dans un rassemblement de tuning pourrait exposer au lynchage, mais il faut sans doute y voir aussi le signe d’une confiance rendue possible par la certitude de l’entre-soi.

L’égalité se perçoit encore et paradoxalement au moment de la remise des prix par laquelle un jury distingue, entre autres, les modifications esthétiques les plus réussies. Les concours multiplient les catégories et tiennent ainsi indirectement compte des ressources de chacun pour que la compétition ne privilégie pas ceux qui « ont les moyens ». Les catégories sont en effet si nombreuses que beaucoup sont récompensés à la final : un rassemblement ordinaire peut faire concourir les propriétaires de plus d’une centaine de véhicules tunés dans plus d’une douzaine de catégories différentes : outre l’évaluation par un jury des nombreuses modifications mécaniques et esthétiques opérées sur les moteurs, la carrosserie et les équipements du véhicule, il peut y avoir l’évaluation de la sono dont le SPL (l’unité de mesure de la pression acoustique à l’intérieur du véhicule), les drifts, concours de dérapage importés du Japon, les runs, concours d’accélération venus des États-Unis…

Autre signe de l’égalitarisme, les dés placés bien en évidence sous le rétroviseur central. Historiquement, ils signifient que le conducteur est un joueur prêt à en découdre pour un concours d’accélération départ arrêté au feu vert, sur le modèle des courses improvisées rendues célèbres par le film American Graffiti. Mais ces dés sont volontiers présents sur des véhicules très âgés et signalent ainsi un autre clin d’œil ironique. Les tuneurs me disent parfois ne pas connaître la signification de ces dés (« il n’y en a pas un qui t’a dit qu’il a été à Clairauto, qu’il a trouvé ça fun et qu’il l’a acheté ? »). Reste que le jeu de dés compte aussi parmi ces jeux de hasard appréciés par les classes populaires parce qu’ils signifient l’égalité réelle des chances (et des malheurs comme les faits divers) et réinstaurent ainsi une forme de justice dans l’injustice vécue.

Cet entre-soi égalitaire du team et du rassemblement s’explique en contrepoint des pesanteurs hiérarchiques et des rapports de force au travail, à l’école et à la maison parentale. Il s’agit bien de se préserver un temps et un lieu à soi. Beaucoup reviennent notamment sur les humiliations et les micro-vexations que leurs enseignants leur ont précédemment fait subir à l’école. Quelques-uns de ces jeunes hommes vivent douloureusement la dévalorisation de leurs diplômes péniblement acquis et d’autres disent avoir été mal orientés et signalent ainsi par le tuning qu’on les aurait, en quelque sorte, « dénaturés » en leur imposant des études tertiaires qui de surcroît ne leur ont pas offert les débouchés professionnels escomptés14. Le tuning, comme pratique culturelle, est à la fois le produit et le vecteur d’une sociabilité horizontale entre jeunes mâles ruraux ou semi-ruraux, souvent tôt sanctionnés scolairement. Les parents, le père en particulier, sont volontiers complices de cette passion qu’ils perçoivent eux-aussi comme une revendication et une preuve tangible et publique des capacités et talents extrascolaires du fils prodige. Il s’opère ainsi une reconnaissance de classe au travers des générations qui autrefois s’appelait la fierté ouvrière et la satisfaction revendiquée devant le travail manuel bien fait.

Le tuning permet de maintenir l’interconnaissance locale sans l’usine en supportant des valeurs réputées caractéristiques du monde ouvrier dont l’égalitarisme15, l’intelligence pratique (dont le présentisme au sens de vivre ici et maintenant, au présent) et l’oralité16.

L’objectivation d’une fierté ouvrière

Plus avant, le tuning propose une forme originale, à la fois individuelle et collective, d’affirmation populaire de soi dans un Nous contre Eux, une manière obstinée et créative de s’exprimer sous contraintes ; car il s’agit moins de résister ou de revendiquer que d’arranger ou d’aménager le devenir problématique d’une identification de classe ouvrière (celle sans doute de la fraction individualiste de la classe ouvrière) qu’il s’agit de préserver en la renouvelant par d’autres moyens. Le tuning utilise, transforme et s’approprie en un sens la « mondialisation » qui s’impose tragiquement à eux (délocalisations industrielles notamment) sous le registre du quant-à-soi, par l’appropriation créative de véhicules produits en série par des entreprises multinationales qui délocalisent (directement ou indirectement via les conditions de prix imposés aux équipementiers sous-traitants) leur production française. Le tuning relève d’un autre lieu de mémoire, celui d’une « mémoire » d’en bas17, il exprime ainsi en quelque sorte la nostalgie d’une qualité de vie populaire déjà décrite par E.P. Thompson, non seulement méconnue mais méprisée. Loin des constructions intellectuelles (PIB, taux d’activité ou de chômage, seuil de pauvreté…) qui prétendent définir l’avenir d’en haut, le tuning comme pratique culturelle rappelle, par le bas, et non sans une certaine lucidité tragique, la richesse perdue d’une vie populaire dans toutes ses dimensions culturelles, sociales ou affectives.

Meeting GTI du Cap d’Agde, 22 septembre 2009

Les limites de la créativité populaire

Toutefois, les tuneurs ne développent pas unanimement, ni systématiquement, ni toujours explicitement ce type de justifications quasi-politiques, loin s’en faut. Par ailleurs, les tuneurs s’avèrent strictement (mais informellement) divisés et hiérarchisés. Au sein du monde du tuning, ceux qui recherchent la performance (les artisans de la performance, drifters) s’opposent à ceux qui recherchent la beauté, les artisans du beau. Ces derniers « alourdissent » le véhicule que les drifters allègent –, pour améliorer leurs performances et connaître ainsi les plaisirs de la vitesse, du virage, du bruit ou du freinage (rupters, runs, burns…). Cette opposition renvoie à des propriétés et ressources sociales opposées, aux deux fractions de la classe ouvrière : les artisans du beau valorisent des capitaux culturels populaires face aux drifters porteurs de ressources et revendications plus économiques18. Tous se hiérarchisent strictement, les plus virtuoses dénonçent sans cesse les « Jackys » qui délèguent à un garage, qui « salopent » le véhicule, multiplient les fautes de goût et salissent l’image du tuning. Ces « bouffons » et leur « Jacky touch », considérés comme des solitaires « pitoyables », eux aussi issus de la jeunesse rurale mais durablement méprisés localement, faute de n’être précisément pas à la hauteur de cette « fierté ouvrière » revendiquée par tous mais qui peut apparaître pathétique chez ceux qui se contentent d’acheter des kits ou qui en font trop peu aux yeux des virtuoses et des plus reconnus.

Michael, ancien peintre carrossier reconverti dans le transport routier le résume simplement : « c’est une fierté d’avoir fait sa propre voiture et ça me met les boules de voir les mecs qui vont au garage », d’autant qu’ils sont régulièrement récompensés par les organisateurs et les magazines de tuning « alors que d’autres mecs ont fait le boulot » : « on n’est plus récompensé à sa juste valeur ». Or, selon lui et tant d’autres, « on peut voir si c’est fait main », les organisateurs devraient demander l’album photo (qui permet de constater l’évolution des modifications), prendre plus de temps pour faire attention aux détails des finitions ou aux défauts du mastic : « 15 jours de travail sur le simili-cuir du tableau de bord mais tu vois là, il y a des bulles ». Le monde du tuning fonctionne à la réputation méritocratique mais pour tous ou presque, y compris les moins doués et les « loups solitaires » (qui ont quitté un team), il y a sans doute au travers du tuning toujours une certaine forme de revendication confuse de dignité voire de dignité de classe.

Le tuning vise, toutefois, souvent explicitement à « cacher la misère » pour faire de nécessité vertu. Les mondes du tuning produisent aussi leurs histoires orales et leurs historiens amateurs locaux. Tous expliquent qu’au début, il s’agissait surtout de faire de nécessité vertu, notamment pour dissimuler les éclats et les rayures sur la peinture d’origine : « les écailles de poissons ou la peinture pailletée ça coûtait moins cher »…

Pierre-Émile, vendeur ambulant de vêtements, jouets et gadgets de la culture « custom » est un « gagne petit » mais il ne peut concevoir d’être un « pauvre lambda avec la voiture de tout le monde » ; c’est ainsi qu’il décide de la faire rouiller mais « à sa sauce » en ponçant à des endroits stratégiques de telle sorte que la rouille forme des flammes sur les flancs « à l’espagnole » pour ainsi concilier le style Rat’s des Allemands et le style de tuning des hispaniques. Rares sans doute sont les adeptes de Rauschenberg dans le monde du tuning, mais la récupération intelligente à des fins esthétiques est aujourd’hui volontiers revendiquée (elle était initialement obligée): « quand on a pas trop de moyens on se démerde ». Lorsque Jerry ne trouve pas à la casse le pare-choc d’une 306, il le remplace par celui d’une 205 en le retournant, il en va de même avec l’usage du simili-cuir à l’extérieur sur la carrosserie beaucoup moins onéreux pour dissimuler les impacts de chocs sur le capot… Ces stratégies relèvent d’une intelligence pratique et esthétique que les tuneurs souhaitent ainsi voir reconnaître. La motivation de Benjamin est patrimoniale, il certifie fièrement que son Ford Mustang rutilante était une « épave » lorsqu’il l’a achetée et il s’agissait de la sauver, comme d’autres sauvent des monuments historiques. La Mustang relève pour beaucoup de passionnés de l’automobile du chef d’œuvre de la culture ouvrière, mais dans le même temps, Benjamin comme quelques rares autres passionnés réussit parfois à en tirer un « petit bénéfice » à la revente. Dans le même ordre d’idées, le véhicule tuné du professionnel (carrossier) fait office de showroom, à l’instar du domicile des plus créatifs des artisans de l’Aude étudiés par M. Perrenoud19.

Il s’agit encore de se distinguer, ce qui ne va pas sans soumission à des phénomènes de modes entretenus par les magazines spécialisés et leurs annonceurs dont les vendeurs de kits et autres pièces détachées. Car les styles de tuning évoluent constamment, il s’agit d’être sans cesse « créatif » pour demeurer en avance sur les autres : « chaque année ma voiture elle change, chaque année, j’en enlève et je remplace quelque chose, faut s’adapter, c’est ça le tuning, on est obligé de suivre ». L’essor du tuning dans les années 1990 accompagne celui du service après-vente des concessionnaires et l’économie du Custom c’est-à-dire des accessoires automobiles dont les stratégies marketing proposent de réaliser une « voiture unique », « personnalisée », « qui vous ressemble ». La presse tuning encadre au profit de ses annonceurs ces effets de mode et autres usages du monde du tuning qui alimente une économie de la transformation automobile.

De bas en haut et retour

Les tuneurs s’en réclament et il est en effet vraisemblable que les constructeurs s’inspirent à l’occasion des innovations apportées « d’en bas » par le monde du tuning, comme pour les phares LED ou l’intégration de l’audiovisuel dans l’habitacle des véhicules. EN 2010, l’artiste Darren Banks, expose devant le Louvre pour la FIAC une Cadillac dont le coffre ouvert propose aux spectateurs de regarder un film hollywoodien sur un écran, ce que font des dizaines de propriétaires de véhicules tunés à chaque rassemblement depuis fort longtemps. En 2012, le musée du Quai Branly consacre, pour la première fois en Europe, la Votchol, une coccinelle Volkswagen recouverte de deux millions de perles tressés par deux familles d’indiens Huitchol (Mexique) actualisant ainsi leurs symboles indigènes ancestraux (l’aigle, le soleil, le cactus sacré…). Longtemps, la firme BMW a confié à un artiste de renom le soin de personnaliser l’un de ses véhicules (Roy Lichtenstein, Franck Stella, Jeff Koons…). Certains échanges entre culture d’en haut et culture d’en bas sont possibles ici, comme ailleurs (mode, musique, cosmétique, style de vie…), mais ces relations d’échanges demeurent asymétriques, conditionnées et marginales. En témoigne le fait que les exemples sollicités par l’enquêteur sont toujours à la fois imprécis, non argumentés et identiques.

À l’inverse, les tuneurs prennent pour référence constante les voitures sportives, notamment allemandes, dont ils cherchent à reproduire les principaux marqueurs de distinction : becquet arrière des Porsche, ouverture des portes papillons des Lamborghini, pneus larges, jantes chromées… Une autre forme de tuning est d’ailleurs pratiquée par les plus privilégiés puisque même les collectionneurs de Ferrari se voient désormais proposer par le constructeur une personnalisation ad hoc de leur véhicule20.

Détail, Meeting GTI de Picardie, 10 mai 2007

La cohérence des pratiques culturelles

Les tuneurs qui expriment leur « passion automobile » au travers de supports médiatiques sont moins révélateurs d’une contre-culture que d’une culture commerciale mondialisée avec sa presse tuning (EVO, GTI Mag., Maxi Tuning, Boost…), ses mangas, ses chaînes spécialisées (AB Motors) ou émissions (Monster Garage, Pimp my Ride), son cinéma (Fast and Furious), ses jeux vidéos dont Gran Turismo, Need for Speed, Touch Mecanic et ses nombreux sites spécialisés sur Internet.

Les pratiques culturelles des tuneurs rencontrés sont étroitement liées entre elles : ils partagent un style de vie et portent volontiers des tatouages, ils vont régulièrement en discothèque, apprécient tous en particulier les jeux vidéos et le cinéma d’animation et d’action hollywoodien, préfèrent ou ont préféré un temps la techno, d’autres le hard-rock (ils se montrent volontiers éclectiques en matière musicale). S’agissant des points communs, ils « n’aiment pas lire », même s’il s’avère aussitôt qu’ils lisent assidûment la presse tuning à laquelle ils demeurent fidèles depuis l’adolescence : « ça m’est venu en colonie dans un livre » confie Sébastien à propos de sa vocation née de la découverte d’un magazine de tuning. Ces « gars du coin », dont Nicolas Renahy a rendu la complexité, tentent par le tuning de préserver un capital d’autochtonie21 protecteur mais ils n’en sont pas moins immergés dans une culture americaine. Cette omniprésence de la culture populaire et commerciale états-unienne témoigne de la réussite, sous le registre du renforcement des prédispositions individualistes et conservatrices22, d’une socialisation médiatique de ces jeunes tuneurs du monde rural français (qu’après la télévision, les usages d’Internet semblent confirmer) dont les effets certes incertains et pluriels ne sont toutefois sans doute pas insignifiants. Parmi les valeurs véhiculées par ces productions culturelles états-uniennes qui trouvent à s’actualiser (mais autrement) dans les dispositions favorables de cette jeunesse française rurale, il y a plus que le « culte » de l’automobile et particulièrement certaines formes d’individualisme, de conservatisme23 et de sexisme.

Les tuneurs, y compris les plus doués, ne se vivent certainement pas comme des « artistes » non seulement parce qu’ils perçoivent ces derniers comme des « fainéants », mais encore parce que les artistes sont assimilés aux « intellos », aux « parisiens » voire aux « pédés »24. Reste pour l’essentiel, que ces créateurs culturels de milieu populaire ont surtout intériorisé, ne serait-ce qu’à l’école, l’ordre social qui place les « artistes » en haut et les familles ouvrières rurales en contrebas de la hiérarchie sociale. Contre les conclusions des études qui importent la méthode ethnographique avec certains impensés exotiques de l’anthropologie, il faut rappeler que les ouvriers français d’aujourd’hui ont au moins partagé avec tous les Français, dont les universitaires, l’école primaire et secondaire ainsi que la télévision et plus largement une culture audiovisuelle états-unienne dont les messages ne cessent jamais de rappeler les un-e-s et les autres à l’Ordre social. Cette somatisation de la domination ou cette incorporation réussie de l’illégitimité du tuning par les tuneurs eux-mêmes est visible au travers de leur modestie comme d’autres formes d’expression d’une honte sociale25 ou encore de leur soumission aux effets de mode agencés par la presse tuning au profit de ses annonceurs qui sont autant de reconnaissances de l’Ordre légitime.

À la fois contre-culture et sous-culture mais culture quand-même, la mise en évidence sociologique de formes d’autonomie culturelle des plus démunis ne devrait toutefois pas conduire à surestimer le potentiel expressif de cette créativité esthétique populaire bien réelle qui doit faire face à un ordre social hiérarchisé tout aussi réel. La domination, c’est-à-dire « la chance » pour un ordre et/ou un Ordre de « trouver obéissance »26, n’est guère menacée par le tuning. La créativité per se ne peut suffire à dissoudre une hiérarchie sociale d’autant plus efficace qu’elle avance sous le masque du nouvel esprit « démocratique » du capitalisme27. D’ailleurs, le tuning sans doute apparu en France sous cette forme au tournant des années 1980 livre déjà ses derniers feux, tel un baroud d’honneur. Comme l’ethnologue hier, le sociologue n’arrive-t-il pas aujourd’hui fort tard, pour recueillir finalement ce qui pourrait être le chant du cygne d’une culture ouvrière, un enterrement de première classe à l’université.


  1. Sur le modèle des études de cas du courant Cultural Studies puis Subaltern Studies et depuis le classique de Stuart Hall et Tony Jefferson, Resistance through Rituals : Youth Subcultures in Post-War Britain, London, Hutchinson, 1976. 

  2. Dans les années 1930, les pionniers aux États-Unis cherchent d’abord à optimiser les performances mécaniques pour des courses plus ou moins improvisées, avant que ne se généralise l’art de modifier l’extérieur et l’intérieur du véhicule : carrosserie, châssis, mécanique, habitacle, systèmes audio-vidéo et électroniques. Les écoles, labels, historiographies et autres classements symboliques et pratiques internes au monde du tuning (personnalisation automobile) sont le lieu et l’enjeu de luttes de définitions, et les taxinomies indigènes s’avèrent en conséquence nombreuses et fluctuantes (culture Kustom, rats, bōsōzoku, low-rider…) ; les « drifters » refusent par exemple désormais le qualificatif jugé infâmant de « tuner », ce qui était moins évident au début de cette enquête. 

  3. Olivier Schwartz, Le Monde privé des ouvriers, Paris, PUF, 2002 ; Gérard Mauger, Les Bandes, le Milieu et la Bohème littéraire, Paris, Belin, 2006. La mise en mots advient plus aisément lorsque les protocoles d’enquêtes sont orientés vers la participation observante plutôt que l’observation participante, et les entretiens collectifs et répétés plutôt qu’individuels et uniques. 

  4. Nicolas Renahy, Les Gars du coin, Paris, La Découverte, 2006. 

  5. L’ethnographie s’impose donc pour étudier cette pratique culturelle qui n’est pas et n’a pas à être justifiée verbalement. Les tuners peuvent réaliser des plans et dessins préparatoires mais le modus operandi le plus fréquent semble être celui du bricolage. Les tuners sont inégalement créatifs, mais la partition lévi-straussienne distinguant les ingénieurs des bricoleurs ne semble pas véritablement rendre compte de la création en matière de tuning ; comprendre plus avant le tuning implique en tout cas de mettre la main à la pâte – ou, en l’occurrence, dans le cambouis ou la graisse – pour un apprentissage sociologique par corps, puisqu’il s’agit de tenter de comprendre en acte un peu de l’intelligence de ces « mains imbéciles » qu’évoque Louis Dumont. 

  6. Entretien avec Rudy Pastore, GTI Mag.

  7. Véronique Moulinié, « Des œuvriers ordinaires. Lorsque l’ouvrier fait le/du beau… », Terrain, nº 32, 1999, p. 37–54. 

  8. Pierre Bourdieu, La Distinction, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979. 

  9. Il faudrait insister sur le rôle central de la famille (et du team) dans la construction (et reconstruction rétrospective) de la vocation individuelle, à l’instar d’autres pratiques artistiques : Charles Suaud, La Vocation, Paris, Les Éditions de Minuit, 1978. 

  10. « Modestie » toutefois inséparable de la difficulté à justifier, dans ce type d’interaction avec un « intellectuel » (je suis assimilé à un journaliste local avec mon appareil photo), ce temps passé à produire du « beau » et de l’« inutile ». 

  11. Michael Baxandall, L’Œil du quattrocento, Paris, Gallimard, 1985. 

  12. Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, Paris, Gallimard, 1990. Voir également les pages de Richard Hoggart consacrées au travail du dimanche dans The Uses of Literacy, Harmondsworth, Penguin, 1957. 

  13. Pierre Bourdieu, La Distinction, op. cit. ; Raymonde Moulin, « De l’artisan au professionnel : l’artiste », Sociologie du travail, 1983, p. 388–403. 

  14. Sur la « rupture d’héritage » de la fierté et de la culture paysannes ou ouvrières d’une génération à la suivante, voir Patrick Champagne, L’Héritage refusé, Paris, Seuil, 2002 ; Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Paris, Fayard, 1999. Sur l’inadéquation des modes d’acquisition culturelle populaire avec le système d’enseignement, Stéphane Beaud, 80 % au bac, et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, Paris, La Découverte, 2002. 

  15. Edward P. Thompson, The Making of the English Working-Class, Londres, Pantheon Book, 1963 ; Paul Willis, Profane Culture, Londres, Routledge-Paul Kegan, 1978. 

  16. Spécificités relatives et inséparables d’une appartenance de classe, donc des conditions matérielles d’existence des familles populaires : sanctions scolaires, position subalterne au travail, faible pouvoir d’achat, insécurité économique, vulnérabilité en matière de santé, etc. Il faut « faire avec », vivre sa vie malgré tout, profiter des bons moments, protéger les siens, la famille, privilégier les enfants, vivre le quartier, jouer collectif à l’occasion, face à Eux, aux autres, positiver une position dominée et ajuster ses espérances aux chances objectives… Il en résulte notamment la dérision ou le franc-parler manifestant aussi le recours toujours possible à la force physique. 

  17. Sur l’entreprise d’édification érudite mais ethnocentrique de classe, par Pierre Nora, des lieux de mémoire : Steven Englund, « De l’usage de la Nation par les historiens, et réciproquement », Politix, nº 26, 1994, p. 141–158. 

  18. Une opposition qui semble analogue à celle qui oppose les skinheads et les mods: Richard Dick Hebdige, Subculture : The Meaning of Style, Londres, Methuen, 1979. 

  19. Marc Perrenoud, « Les artisans de la ‹ gentrification rurale › : trois manières d’être maçon dans les Hautes-Corbières », Sociétés Contemporaines, nº 71, 2008, p. 95–115. 

  20. John Barker, « The Personal Touch », EVO (GB), juin 2010, p. 72–73. 

  21. Jean-Noël Retière, « Autour de l’autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social populaire », Politix, nº 63, 2003, p. 121–143. 

  22. Éric Darras, « Le pouvoir de la télévision ? Sornettes, vieilles lunes et nouvelles approches », dans Antonin Cohen, Bernard Lacroix, Philippe Riutord, (dir.), Les Formes de l’activité politique. Éléments d’analyse sociologique (XVIII–XXe siècles), Paris, PUF, 2005. 

  23. Todd Gitlin, « Media Sociology : The Dominant Paradigm », Theory and Society, nº 6, nov. 1978, p. 205–253. 

  24. Outre cette valorisation essentielle du travail sur laquelle les discours des partis de droite ont toujours su convaincre les plus indépendants des membres de la classe ouvrière, les nombreuses vannes et allusions homophobes rappellent l’importance et la permanence de la crainte de la féminisation dans cet espace où les positions se hiérarchisent relationnellement sur une échelle de virilisme. Précisons aussitôt qu’il n’en va pas autrement, mais sous des registres plus euphémisés, dans certains milieux élitistes et que les universitaires ne font pas exception. 

  25. On rejoint les conclusions de la remarquable étude de Vincent Dubois, Jean-Matthieu Méon et Emmanuel Pierru, Les Mondes de l’harmonie. Enquête sur une pratique musicale amateur, Paris, La Dispute, 2009. 

  26. En France, au terme d’une « traduction oblique » mais profitable de Max Weber par la tradition sociologique « durkheimienne », les travaux insistent de longue date sur l’intériorisation d’un Ordre au sens « d’une structure sociale donnée [qui] devient partie intégrante de l’expérience de l’individu » ; en jouant le jeu de mots entre ordre (Befehl) et Ordre (Ordnung), les lexiques français de sociologie politique donnent à la définition canonique de la domination chez Max Weber une puissance heuristique qu’elle ne semble pas avoir originellement. Max Weber, Wirtschaft und Gesellschaft, Paderborn, Voltmedia GmbH, p. 214. 

  27. Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999. 

Sommaire nº 42
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