De l’usine à la centrale, le monde du travail a gagné en régulation. Mais si ce gain correspond à une croissance quantitative des capacités de production, il n’est pas nécessairement heureux. Nous nous y sommes adonnés parce que, comme j’ai essayé de le dire dès les premiers chapitres de mon essai sur le travail, une métaphysique nous situant comme des administrateurs du monde détermine profondément notre idée de l’économie. Nous ne sommes cependant pas obligés de céder à cette métaphysique et de trouver indispensable le progrès administratif de nos capacités techniques. Ce qui nous serait utile, ce serait plutôt d’apprendre à discerner la puissance (le pouvoir être, la capacité) spécifique de la technicité d’une part, de ce qui l’administre et la dispose, c’est-à-dire l’économise, d’autre part. Ainsi la centrale, pour revenir à elle, est-elle sûrement aujourd’hui, au-delà de l’usine, une forme productive majeure économiquement parlant, fondée sur la concentration d’un capital technique. Sommes-nous pour autant absolument contraints de penser que les techniques sont toutes vouées à être centralisées ?
Il y a de cela quelques années, j’avais envisagé d’écrire un livre qui aurait eu pour titre Le temps des studios. Peut-être, au lieu de « temps », aurais-je aussi bien pu dire « époque » – s’il est vrai qu’une époque est originellement, dans la course d’un balancier, ce moment où, se suspendant dans le sens qui est alors le sien, le mouvement se trouve en état de repartir dans une autre direction. Car il s’agissait bien, il s’agit toujours de cela : sommes-nous en mesure, sommes-nous au moment de changer le cours économique des techniques avec lesquelles nous vivons ? Y a-t-il auprès de nous, dans les studios par exemple, de quoi offrir un chemin alternatif à cette économie de la technique qui, nous soustrayant au temps du travail obscur des offices, nous livre assez systématiquement, même en privé, même dans le loisir, aux logiques de l’emploi du temps ?
Je n’écrirai pas ce livre. Nombre des textes que j’avais imaginé d’y rassembler sont à présent dispersés. Certains sont publiés ailleurs, quelques-uns sont ici. Si je me suis résolu à cette dispersion, c’est que je ne trouvais ni à clore ni à articuler le volume d’une façon qui puisse me satisfaire. Je n’ai pourtant jamais renoncé à la formule titre. Elle n’a pas cessé de m’intéresser. Un studio n’est-il un lieu apte à produire, en raison des appareils qui s’y trouvent, des objets dont la valeur n’est pas toute économiquement déterminée ?
Je viens de trouver sur ce point matière à réflexion supplémentaire. L’expression m’est revenue à l’esprit à l’occasion d’une conversation avec Andrea Urlberger, allemande par sa langue maternelle. Je discutais avec elle du choix fait, dans la récente publication en français des textes d’Otl Aicher1, de traduire le mot Entwurf par « projet ». Ce mot, Walter Gropius l’avait lui-même déjà inscrit au centre de l’organigramme qu’il avait dessiné pour le Bauhaus et inséré dans les statuts de l’École. L’allemand connaît aussi le terme Projekt. Dès lors, pourquoi Entwurf ? Qu’y a-t-il de singulier dans ce vocable qui puisse, à soixante-dix ans de distance, le rendre préférable aux yeux de deux références majeures de l’histoire du design ? Non germanophone, traducteur littéral, je me suis intéressé aux connotations qui, comme « esquisse » ou « plan », pouvaient rapprocher l’Entwurf allemand du vieux grec graphè. Andrea Urlberger m’a proposé, meilleure idée selon elle, « studio ». Cette proposition n’a pas seulement fait incidence sur ma lecture d’Aicher. Elle m’a encore renvoyé à ma compréhension du Bauhaus. Et, bien sûr, à mon titre suspendu.
Dire « studio », c’était pour moi faire grand cas, ou enjeu, de ce qui, au regard des grands problèmes économiques de notre temps, ne pouvait apparaître que comme un détail. Expliquer le caractère non négligeable de ce détail, c’est sur quoi j’avais échoué. J’y reviens désormais. Il s’agit, il s’agissait, pour commencer, d’évoquer le travail de Glenn Gould. Qu’a fait ce pianiste, musicien et interprète de haut rang, lorsqu’il décida, à la grande surprise des spécialistes, de ne plus exhiber son art en concert ? Enregistrer comme jamais. Par là je ne veux pas seulement dire qu’il avait adopté une solution de remplacement à un dispositif qu’il abandonnait et qui faisait droit, en art, à l’aura d’un ici et maintenant spectacularisé. Non, il entreprenait de faire travailler la technique des studios. Je veux dire : non pas seulement faire avec elle, mais bien la mettre au travail. Ou la faire accoucher de quelque chose d’inouï. Il s’agissait de donner lieu à une musicalité elle-même sans lieu jusqu’alors. Ce travail permit par exemple de faire entendre un aigu fortissimo réclamé par une partition de Scriabine que Gould estimait autrement injouable. Cet aigu n’est pas joué par le seul pianiste, mais produit par le concours de son jeu avec un étagement complexe de microphones et en même temps, un certain trafic de la table de mixage. À cet étagement et à ce trafic, les ingénieurs du son ne s’employaient pas d’habitude. Gould les fit travailler. S’il y parvint, ce ne fut pas seulement pour avoir su établir les relations personnelles qui convenaient. Ce fut aussi, et à mon sens d’abord, parce qu’il avait accordé une particulière attention à la disposition et aux possibilités des appareils.
Cet exemple me semble aujourd’hui moins rare que naguère. La musique de jazz, que Gould n’aimait pas par ailleurs, aura elle aussi impliqué tout un travail des studios. Les sons qui s’entendent dans cette musique ne sont pas tous, loin s’en faut, et ne sont peut-être pas même essentiellement, pas seulement en tout cas, des sons « directs » ou physiques, mais des sons machinés, amplifiés, appareillés. De même s’agissant d’un autre champ, celui du rock. Dans ses mémoires, Life, Keith Richards évoque à plusieurs reprises sa façon de travailler – de bricoler – avec les amplificateurs. Et de le faire malgré les avertissements et conseils de l’ingénierie du son. Je reviens à mon sujet : ce travail, ce bricolage ne relèvent pas plus que les précédents d’un « projet » pour ce que ce mot signifie ou signifierait tant de capacité à voir ou à entendre d’avance que d’attente exigeante d’un résultat conforme. Non, il y va bien d’une avancée par travail, par esquisses ou par essais. D’un labeur par conséquent, labeur qui écarte le mode opératoire d’une stricte ingénierie pour adopter celui d’un art de la technique.
Telle était mon intention dans l’ouvrage abandonné : traiter de l’art en tant que travail technique. Cette intention avait, et a toujours du reste, une dimension intempestive en un moment où l’on admet que « dire, c’est faire ». En ce moment, on active volontiers les mots, on les place en contextes d’énonciation, on les fait valoir pour leur puissance rhétorique de conviction. Mais on n’en réfléchit guère les références sémantiques. Disons qu’on les fait jouer comme des marqueurs. Le vocable « art » aura à son tour été, pour une part au moins, concerné par ce genre d’activation. S’il s’agit toujours d’y faire des œuvres, ce faire ne va pas sans toute une capacité non pas à signifier artistiquement (s’il en était seulement ainsi, l’art contemporain serait banalement classique), mais à se signifier, à faire circuler son nom autour de tel ou tel fait prétexte.
Tandis que ce mouvement a lieu, le souci du faire, du seulement faire, bien sûr, perd en importance. L’époque ne revendique plus comme artistique le mutisme des offices. Des textes comme ceux qu’un Paul Klee ou un Georges Braque pouvaient à l’occasion consacrer à la longue préparation de leurs œuvres dans le silence de leurs ateliers ne semblent plus de mise. Un effort est nécessaire à qui veut faire entendre leur pertinence. En somme, ils sont désormais intempestifs. C’est-à-dire : non pas inutiles, mais décalés du cours majeur des idées, peu évidents. On ne pense pas spontanément à les rapporter, en tant pour ainsi dire que discours de la méthode du travail en art, à cette pratique des studios qui a pu donner lieu à des musicalités aussi différentes que celles de Gould, du jazz et, le cas échéant, du rock. On ne pense pas plus facilement qu’avec eux serait pourtant susceptible de se lever une critique de l’administration majeure du travail. Que cette critique ne soit pas sans efficacité économique est cependant ce que pourrait révéler non pas toutes les musiques actuelles, mais celles, singulières, que j’ai dites (tout le jazz, tout le rock, toute la musique dite « classique » ne relèvent évidemment pas du travail que je cherche ici à signaler).
C’est la même chose avec le design. Mais je n’y pensais pas encore quand j’envisageais d’écrire mon livre. Introduire ce mot, c’est pourtant donner à la réflexion une portée que la seule considération de phénomènes plus facilement assimilables à l’histoire des arts ne pouvait atteindre. À quoi le design a-t-il tenu lorsqu’il s’est décidé à accompagner la société industrielle de son esprit et de sa possibilité ? Non pas aller contre le mouvement de l’industrie même, non pas y réagir, mais faire avec lui, mais l’orienter autant que possible dans une direction qu’autrement il n’aurait pas. Il s’agissait de mettre au travail les machines elles-mêmes.
Après une phase d’hésitations et de vifs débats, l’idée de design s’est liée, à la fin du XIXe siècle et à l’orée du XXe, à l’envie de mettre au monde des fabrications qui, quoique procédant du cœur des milieux industriels, ne relèveraient pas d’une seule exécution machinale. Ce genre d’idée nous est-elle aujourd’hui devenue inaccessible ? Toute une idéologie du « bien fait » tend à nous le faire admettre. Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, cette idéologie a trouvé sa niche dans un imaginaire de l’artisanat. Je dis bien : « imaginaire », car ce qui s’est alors dit dans une ambiance de pensée proche des thèses d’un John Ruskin impliquait une véritable réévaluation. Le mot « artisan » n’avait en effet jusqu’alors rien de particulièrement élogieux. Mais voici qu’il prit une autre portée. Sur le plan symbolique, il tira les bénéfices des insuffisances esthétiques de l’industrie passée à l’âge industriel. Ou du divorce qui avait commencé de se prononcer, depuis l’Encyclopédie au moins même si c’était alors encore assez sourd, entre le profitable et l’avantageux d’une part, le beau d’autre part. C’était là conduire la pensée à une situation paradoxale. Nous y sommes.
Pour des psychiatres, un esprit pris dans un paradoxe est sinon tout à fait déchiré, du moins dans l’état d’un possible déchirement (il se débrouille vaille que vaille avec l’entame d’une déchirure qu’il s’efforce de ne pas aggraver). Pour ce qui est de nous, d’un côté, je l’ai dit, nous sommes si bien performatifs qu’un faire sans dire – un faire en soi – ne nous convainc ou ne nous intéresse guère. Mais d’un autre côté la nostalgie d’un artisanat – d’un savoir-faire – méticuleux nous tient. Cette situation paradoxale s’incarne en ceci (ce n’est qu’un exemple) qu’un même contemporain peut être un jour client d’un produit de haute technologie en raison du branding associé (les qualités techniques du produit en question comptent alors moins que la marque dont il est porteur et qui se performe avec lui) et l’autre jour, fouiner chez un brocanteur ou un antiquaire parce qu’il ne s’imagine pas vivre en l’absence d’objets d’une qualité supposée irremplaçable, témoins d’une époque où l’on savait travailler.
C’est le caractère nostalgique du savoir travailler que le design a foncièrement combattu dès lors qu’il s’est appelé de ce nom. Je tiens de ce point de vue pour essentiel le texte suivant de Frank Lloyd Wright. Son propos, rendu public en 1931 lors de conférences, peut remonter, selon l’éditeur français, à la fin du XIXe, soit au temps où le design s’est décidé dans son principe même.
« Notre industrie doit former des designers au lieu de former des artisans, car nos artisans ce sont les machines, des artisans tout prêts, efficaces et dociles. Sur ce point, le pouvoir mécanique a fait table rase. Comment obtenir de ces impressionnantes « machines/artisans » ce qu’elles peuvent faire de mieux ? Puis, au-delà du savoir-faire mécanique, comment trouver les rythmes de la forme ? »2
Deux remarques au moins sont à faire sur ce texte. La première : que les machines du monde où le design peut avoir lieu sont supposées avoir effectué un remplacement. Ce qu’elles ont remplacé, ce sont les métiers au sens premier du mot, soit tout un outillage que des ouvriers patentés (hommes de métiers, artisans d’autrefois) pouvaient posséder chez eux, dans leurs boutiques, et faire travailler à la pièce. La force capable d’activer ces métiers ou cet outillage était corporelle. Elle était physique en ce sens. Avec les machines de la société industrielle, il en va différemment. Les forces actives, ce sont désormais des moteurs dont la puissance de travail sera bientôt calculable dans une physique autrement entendue. Les corps, ici, sont outrepassés. L’esprit des boutiques aussi.
Deuxième remarque : que tout ce remplacement est, aux yeux de Wright, irrévocable. Il ne convient donc pas de regarder en-deçà, mais au-delà. Que peut-il être fait de mieux avec un outillage qui n’est pas a priori à la mesure des corps ? Telle est la question inaugurale du design. Nous pourrions sans grand risque d’erreur étendre son champ de pertinence au cinéma (lequel peut faire passer un regard d’un espace à un autre dans le seul instant d’une coupe), à la téléphonie (laquelle permet à une voix de porter au-delà de sa portée native), à la télévision, etc. Bref, l’interrogation de Wright ne nous a pas quittés.
Examiner la machinerie de la société industrielle avec cette question en tête, ce n’est pas chercher le mieux (Wright n’a pas cette prétention), mais un mieux. C’est-à-dire : un second office puisqu’on ne saurait en effet concevoir que la place d’une amélioration soit dans le premier temps, à l’origine. Bien sûr, Wright n’estime pas secondaire cet office second. Il admet seulement que, dans le remplacement des métiers par les machines, on aura commencé avec manque. Je généralise : c’est toujours le cas. À chaque fois qu’une machine s’installe, il y a une raison à son installation. Mais cette raison n’est pas suffisante. Elle en manque une autre.
Ainsi, s’il y a un « faire mieux » possible, c’est qu’il existe d’abord, ayant déjà donné ses résultats, un faire dépourvu de ce mieux. Caractérisons ce faire comme manquant des « rythmes de la forme » et pensons, pour interpréter cette formule, à son opposé, à ce qui manque de rythme, bref à l’uniformité. N’est-ce pas une partie au moins de notre problème à l’encontre des donnes de la technique que cette uniformité ? Comment se fait-il que d’un lieu de production à un autre, d’une entreprise à une autre il y ait, à la cosmétique près des marquages du branding, tant de ressemblance ? Effet inéluctable de la machinerie ? Pas si sûr. Il est des machines souples, réglables, appareillables. Si cependant leur production est uniforme, c’est qu’elles sont restreintes dans leurs capacités, c’est qu’elles sont administrées (disposées à produire et mises en œuvre) uniformément.
Qu’est-ce en effet qu’une machine ? C’est un objet intermédiaire qui, à la manière d’un outil, permet de mener à bien une opération. En ce sens, c’est une capacité de production. Mais, s’il suffit de manier un outil pour qu’il rende ce qu’il peut rendre, il faut à la machine une alimentation que le corps seul de l’opérateur ne saurait suffire à produire. Ainsi se lie-t-elle à une énergie elle-même techniquement produite. Même si les machines historiques de la société industrielle furent de grande taille et pour cette raison disposées dans de vastes espaces, nombre d’entre elles peuvent aussi nous venir dans les mains. Ainsi de l’ordinateur avec lequel je travaille aujourd’hui. Ce sont mes doigts qui activent son clavier et il leur répond si bien que je l’éprouve comme un outil d’écriture. En réalité rien ne se passerait si nul courant électrique ne circulait entre les pièces. Or ce courant, je ne le produis pas. Cette affaire d’énergie exclut la production machinale de répondre à la seule volonté de faire et suffit à faire comprendre ce qui se passe dès qu’on quitte le monde des seuls outils. Ce qu’il faut inscrire au registre des conditions de possibilité du travail implique désormais davantage d’éléments. Les machines sont donc a priori, au-delà même d’ailleurs du seul cas de l’alimentation que je viens d’évoquer rapidement, plus exigeantes et moins disponibles. Cela oblige-t-il à les penser comme des dispositifs déterminants auxquels on ne pourrait plus que se plier ? C’est ce que le propos de F.-L. Wright, en cela significatif de la position du design historique, n’a pas admis, lui qui nous demande de considérer deux grandes catégories de production machinale, celle où du « rythme » est finalement donné (ou formé) et celle où il manque.
Où et comment la différence se fait-elle ? Si l’on pouvait avoir ici quelque certitude, l’idée de design que cherche à faire comprendre Wright serait facile à réaliser. Ce n’est pas le cas. Disons que c’est l’affaire d’un travail qui n’est pas réglé d’avance – ce n’est pas le fait d’un emploi posté –, et que (tant pis si cela reste énigmatique) ce travail dépend lui-même d’une attitude. Ou d’une qualité d’estime a priori portée aux capacités de la machinerie et, puisque le pluriel est ici essentiel, à l’hypothèse d’une réglabilité apte à soutenir des choix de conduite. Cette réglabilité, il faut la faire apparaître et en dépit des habitudes économiques, la découvrir et la maintenir. Ce n’est pas qu’elle soit impossible, c’est que, le plus souvent, elle est soustraite à l’évidence (l’appareil productif qu’est substantiellement cette machinerie n’est plus alors, en effet, qu’un dispositif de production). Et s’il en est ainsi, c’est que les machinations dont les humains sont capables sont moins placées dans les espaces opératoires en raison d’une estime de et pour la technique qu’elles impliquent, qu’en raison d’une possibilité d’exploitation. On cherche davantage à tirer profit qu’à étudier, à employer qu’à comprendre.
Selon quelle sorte de contrainte les machines sont-elles en effet premièrement disposées ? Quand on introduit l’une d’elles dans un milieu de production, pourquoi le fait-on ? Quelle raison dispose principalement de cette introduction ? Non la technicienne stricto sensu, mais plus sûrement l’économique. Le chef de la prescription des machines dans les espaces de travail, ce ne sont pas leurs capacités créatrices, c’est leur administrabilité. Il s’agit qu’elles profitent à ceux qui les disposent en fait parce qu’ils en disposent en droit. La propriété de leur capital productif est alors un déterminant majeur.
J’ai évoqué les usines, dans mon essai sur le travail. J’ai tenté de montrer, substantiellement, combien dans ces usines on n’était pas encore parvenu à parfaitement économiser le travail. À présent, je pourrais dire aussi bien que ce furent des lieux où la productivité réelle n’était pas toute prévue par les exigences propres à ce que je viens d’appeler « capital productif ». Cependant, ce qui demeura de manœuvres ouvrières possibles en ces lieux ne parvint pas à modifier significativement le cours de la production. L’ouvrier qui, dans le récit de Robert Linhart3, désobéit aux consignes, allège la chaîne productrice de certains de ses échecs sans en rien toucher à la nature du produit fini : c’est toujours une automobile et toujours la même sorte d’automobile.
Avec le design non pas tel qu’il est souvent célébré et volontiers reconnu, mais tel que l’idée a pu tout de même en être soutenue (par exemple dans le texte que Wright que j’ai voulu faire lire ici), avec l’Entwurf, avec la notion de studio, j’imagine qu’il pourrait en être autrement. Il s’agirait alors, il s’est agi dans certains cas déjà, d’appareiller des espaces de travail avec machines afin qu’il soit loisible qu’elles donnent ce qui n’est pas d’abord prévu ou attendu d’elles dans la perspective, historiquement dominante et pour l’heure encore efficiente, d’économiser le travail.
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Otl Aicher, Le Monde comme projet, traduit de l’allemand par P. Malherbet en collaboration avec C. Kopylov, B42, 2015. ↩
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Frank Lloyd Wright, « L’architecture moderne », in L’Avenir de l’architecture, traduction Georges Loudière et Mathilde Bellaigue, Éditions du Linteau, Paris, 2003. ↩
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L’Établi, op. cit., Minuit, 1978. ↩