Éditorial

2021 marque la trentième année d’existence de la revue Azimuts. Dans ce numéro anniversaire, nous saluons le travail inestimable des étudiant·e·s, chercheuses et chercheurs qui l’ont créée et consolidée, ainsi que celui des éditrices et éditeurs, graphistes et professeur·e·s qui la guident et l’accompagnent depuis trois décennies. Azimuts documente la grande expérience éditoriale et pédagogique qu’est le troisième cycle de l’Ésadse (postdiplômes/CyDRe) ; le premier du genre en France. Nous remercions les lectrices et lecteurs qui sont resté·e·s fidèles à Azimuts, et souhaitons la bienvenue à celles et ceux qui la découvrent. C’est vous qui donnez un sens à cet effort. Que vous soyez habitué·e·s ou néophytes, nous espérons que ce numéro vous donnera à la fois un regard rétrospectif sur l’histoire du magazine et un outil pour interroger le présent.

Se plonger dans les pages d’Azimuts est un exercice intellectuel intense et stimulant. Les premiers numéros respirent l’inclusivité, l’horizontalité et la diversité. Ils me rappellent la belle maxime du poète cubain Samuel Feijoo : « la nature ne hiérarchise pas : à côté d’un immense palmier royal, elle place une petite herbe de romarin ». L’hétérodoxie de ces premiers numéros a stimulé l’apparition d’une culture du projet, et permis à Azimuts de recevoir des propositions venues du monde entier. D’autres numéros se concentraient, eux, sur des thèmes spécifiques, ce qui a permis à Azimuts de gagner sa propre place parmi les publications consacrées à la recherche en design. Cet exploit a été accompli sous la direction de Constance Rubini et reconduit sous celle de Marc Monjou.

Les variations en termes d’orientation et de forme éditoriales au sein des différents numéros peuvent être interprétées comme autant de réponses aux logiques pédagogiques, économiques et distributives du magazine. Dans ce numéro, nous poursuivrons nos recherches sur cette problématique, dans le but de révéler les lignes existantes entre le magazine, les exigences économiques et distributives qui l’animent actuellement, ainsi que le nouveau profil pédagogique du postdiplôme en design et recherche « Azimuts » au sein de l’Ésadse.

Comment fêter le trentième anniversaire de la revue en termes éditoriaux ? Les temps que nous vivons exigent des réponses collectives, et des structures sociales fondées sur le rejet de la verticalité, au profit de la générosité. Il n’est plus question de différer la prise en compte de la diversité, ni d’ignorer l’urgence à mettre un terme aux graves conséquences du design sur la vie terrestre. Le moment est venu de s’opposer aux logiques, aux imaginaires et aux égoïsmes responsables de cette strate planétaire honteuse que l’on appelle parfois l’Anthropocène.

Pour donner une continuité à l’effort collectif qu’a toujours été Azimuts, nous avons demandé à quelques collaboratrices et collaborateurs fréquent·e·s (venu·e·s de l’intérieur comme de l’extérieur) de recommander la relecture d’un texte publié entre les numéros 37 et 51. Que faut-il relire aujourd’hui ? Quels textes doit-on rassembler pour que le numéro 53 d’Azimuts puisse servir d’outil de travail aux jeunes designers, chercheuses et chercheurs du temps présent ? Nous souhaitons que nos lectrices et lecteurs habituels revisitent certaines pages. Nous croyons à la résonance de leur contenu avec le présent. Mais nous pensons également qu’il est possible d’attirer un nouveau lectorat. Comment pouvons-nous stimuler cette manière d’aborder nos pages ? Comment Azimuts peut-elle conserver son utilité dans les circonstances actuelles ? Le mieux est certainement d’éviter une liste de lectures obligatoires. Nous préférons faire appel et mettre en pratique la « pensée de la trace » telle que décrite par Glissant, lorsqu’il nous a demandé de « nous réconcilier avec une forme de pensée qui ne sera ni dominatrice, ni rigoureuse, ni autoritaire, mais qui sera peut-être une pensée asystématique, caractérisée par l’intuition, la fragilité, l’ambiguïté, qui sera mieux adaptée à l’extraordinaire complexité et l’extraordinaire multiplicité des dimensions du monde dans lequel nous vivons. »

Nous espérons que ces nouveaux lecteurs, ces nouvelles lectrices aborderont ces textes comme les premier·ère·s migrant·e·s qui, dans les Caraïbes, ont recomposé le langage, la religion et la musique à travers la pensée de la trace et en réaction à leurs besoins physiques et spirituels individuels et collectifs.

Dans le but de proposer une analyse actualisée du rôle joué dans la recherche en design par ce type de publication et par son mode de diffusion, nous avons fait appel à Lucile Haute. La chercheuse s’est associée à Camille Noûs1 pour rendre compte des débats en cours sur l’utilité et la légitimité des publications périodiques qui problématisent aujourd’hui les enjeux de la recherche en design, au moyen d’une mise en scène de la recherche elle-même. Azimuts est honoré de publier cette production et soutient cette initiative.


  1. Camille Noûs est un·e chercheur·euse multidisciplinaire, interdisciplinaire et transdisciplinaire affilié·e au laboratoire Cogitamus. Camille Noûs est un individu collectif qui symbolise notre attachement profond aux valeurs d’éthique et de probation que porte le débat contradictoire, insensible aux indicateurs élaborés par le management institutionnel de la recherche, et conscient de ce que nos résultats doivent à la construction collective. L’identité de chercheur·euse Camille Noûs a été créée par le collectif RogueESR dans la continuité des mouvements de contestation contre la loi LPPR, en 2019. Le projet d’un·e chercheur·euse fictif·ive cosignant des papiers par centaines dans des disciplines les plus variée a donné lieu à concertation, notamment pour le choix de ses noms et prénoms. Camille Noûs existe depuis 2020. 

Sommaire nº 53
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